Laetitia au fil des mots

Laetitia au fil des mots

Chronique alsacienne à quatre mains, quatre pieds et beaucoup de tuyaux.

                                                  

 

L'Alsace est riche de ses paysages, de ses villages, de ses vignobles et de certaines femmes qui l'illuminent de leur radieuse beauté, teintée de bleu et de blond. Tout un chacun sait cela, à tel point que cette chronique n'est pas loin de s'ouvrir par un cliché. Mais l'Alsace est aussi une terre où de tous temps l'homme a doté ses églises d'orgues magnifiques, parfois jusque dans les plus petites bourgades, et où tout naturellement il a bien fallu pourvoir ces instruments de leur complément indispensable : l'organiste.

 

Yannick Merlin a grandi là-bas, près du Rhin, et y a rencontré le roi des instruments en 1993 grâce à l'enseignement de Raymond Winterhalter. Rencontre fructueuse puisqu'il obtint en 2001 une médaille d'or au CNR de Strasbourg, avant d'aller se perfectionner à Paris. Il est lauréat de plusieurs concours internationaux d'orgue (Ville de Paris, Angers, Lorraine) et, accessoirement, agrégé de musicologie après un cursus universitaire poursuivi à Strasbourg et à la Sorbonne. De 1995 à 2001, il a été le titulaire de l'orgue du couvent Saint-Antoine de Sélestat, et de 1998 à 2007 de celui, historique, du Temple-Neuf de Strasbourg. Il est aujourd'hui en poste à Paris. Et comme si ça ne suffisait pas il est aussi, en tant que musicologue, rédacteur et directeur de collection aux éditions Delatour France...

 

Bon, histoire de se changer les idées le soir après l'office, il aurait pu épouser une attachée commerciale ou une factrice eh bien non ! entrée en scène de Béatrice Piertot, organiste elle aussi, au pedigree à peu près similaire, avec en plus le clavecin dans les cordes de son arc. Enseignant les deux instruments, titulaire elle aussi d'une tribune parisienne, conseillère artistique pour un festival, elle a encore une petite faim puisqu'elle suit aussi des cours de viole de gambe et de danse baroque.

 

Et c'est comme cela qu'après avoir façonné une adorable petite Eve qui a poussé sa première note au début de l'été dernier, ils ont eu l'idée de se produire et d'enregistrer en "quatre mains-quatre pieds", concept qui s'il n'est pas inédit, est pour le moins original. Ainsi naquit le "Duo Merlin".

 

Leur dernier enregistrement a été effectué sur l'orgue historique (1833) de Mollau récemment restauré, dû au facteur Joseph Callinet. C'est avec ce programme qu'ils ont inauguré cet instrument remis à neuf en juin dernier.

 

                                            

 

Baptisé "Scènes Alsaciennes", en référence à Jules Massenet, il couvre plusieurs siècles de musiques nées en Alsace, ou en rapport avec l'Alsace.

On peut être surpris d'y voir figurer Mozart, avec les deux fantaisies en fa mineur Kv 594 et 608. Composées à la toute fin de sa vie, elles coïncident avec de courts séjours qu'il fit à Strasbourg à ce moment, sans pour autant s'y installer comme il l'avait fait en octobre 1778. Mais il est plus que probable qu'il les joua en Alsace, sur leur instrument d'origine qui était un orgue à rouleaux transportable.

En revanche, Georg Muffat (1653-1704) est une assez belle synthèse du "compositeur européen" de l'époque. Autrichien né à Megève, il passa sa jeunesse en Alsace. Séjournant à Salzbourg, Paris, Rome ou Prague, il fut influencé par les écoles allemandes, italiennes et françaises, et sa grande Toccata en est une parfaite synthèse.

Célestin Harst (1698-1778) était un moine bénédictin né à Sélestat, et qui ne quitta probablement jamais l'Alsace. Il était considéré comme l'un des plus grands clavecinistes de son époque, et son Grand orage est un bel exemple de musique "descriptive", encore plus impressionnante quand elle est jouée à l'orgue.

Martin Vogt (1781-1854), organiste et violoncelliste, termina sa carrière à Colmar après avoir travaillé à Vienne, Salzbourg, Bâle et Saint-Gall, entre autres. Joseph Wackenthaler (1795-1869) fut l'organiste sans partage de la cathédrale de Strasbourg de 1833 jusqu'à sa mort, à l'époque où l'édifice manquait d'un orgue de choeur. Il y assurait tous les offices, dormant parfois dans la salle des soufflets, tout là-haut dans le nid d'aigle ! Quant à Charles Kienzl (1797-1874), organiste et compositeur de pièces sacrées, il semble avoir surtout marqué la ville de Guebwiller.

 

Théophile Stern (1803-1886) fut une personnalité importante de la vie musicale strasbourgeoise. Organiste du Temple-Neuf, compositeur, professeur recherché, il marqua durablement le style d'accompagnement du culte protestant, tout en étant un brillant concertiste.

Adolf-Friedrich Hesse (1809-1863) ne fit que passer en Alsace, étant surtout attaché à sa ville de Breslau. Mais sa renommée était internationale, due en partie à son exceptionnel jeu au pédalier, et s'étendit jusqu'à Paris, où il inaugura les orgues de Saint-Eustache. Il reste aussi connu pour avoir été le professeur de Lemmens, qui forma lui-même des organistes comme Alexandre Guilmant ou Charles-Marie Widor.

 

Un programme très "alsacien" donc, permettant de découvrir des compositeurs oubliés, voire totalement inconnus, dans lequel on pourrait s'étonner de voir figurer Jules Massenet. D'abord parce que ce natif de Saint-Etienne passa sa vie à Paris, ne se déplaçant à Rome que pour un séjour à la Villa Médicis, et à Monte-Carlo ou Vienne que pour y voir créer ses oeuvres. Ensuite parce qu'il fut essentiellement un compositeur d'opéras, ne laissant aucune pièce d'orgue. Mais c'est là qu'intervient le grand talent de Béatrice et Yannick pour la transcription d'oeuvres orchestrales (ils ont déjà consacré un disque, "Couleurs orchestrales", à cet art difficile, et il ne faudra surtout pas manquer leur fulgurante interprétation du dernier mouvement de la quatrième symphonie de Brahms qui viendra bientôt). Massenet avait été très marqué par l'annexion de l'Alsace, et composa pour orchestre les "Scènes Alsaciennes" assez rapidement, même si elles ne furent créées qu'en 1882. La quatrième pièce, Dimanche soir, montre son espoir d'un retour prochain de cette terre, en évoquant dans un savant mélange les thèmes populaires les plus célèbres.

 

Virtuoses bien-sûr, mais avant tout musiciens, Béatrice et Yannick réinventent leur instrument par leur art des registrations, offrant un éventail de couleurs infini indispensable pour les transcriptions de pièces orchestrales. Ils se dégage de leur jeu une espèce de "lyrisme énergique" qui est leur signature. Et surtout, peut-être, ils ne donnent jamais l'impression d'être deux individus se partageant les claviers, mais une entité parfaite tant ils sont en symbiose. L'auditeur non averti est persuadé qu'il n'entend qu'un seul organiste, et c'est peut-être là que se trouve leur plus belle réussite.

 

Ce programme va encore se donner au gré des possibilités, des festivals ou des invitations (avec le Brahms phénoménal que j'ai évoqué), et probablement d'autres transcriptions sur lesquelles ils travaillent. Ce serait un péché mortel de ne pas aller les entendre.

 

 

 

Vous pouvez les contacter et commander leurs CD sur :

 

http://als-orgue.pagesperso-orange.fr/Yannick%20Merlin/YannickMerlin.htm

 

Franz Muzzangel.

 

 

 

 



24/02/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 24 autres membres