Laetitia au fil des mots

Laetitia au fil des mots

La chronique de F. Muzzangel


Chronique de la transparence.

Alors comme ça, pour tenter de calmer nos ardeurs par trop redoutées, voilà qu'on nous invente une nouvelle vertu suprême. Il y eut naguère la sacro-sainte tolérance, qui est tout sauf le contraire de l'intolérance. Je n'aime pas la tolérance. Avant de hurler, écoutez, que diable ! Je n'aime pas la tolérance, car je préfère le respect. Si mon voisin a besoin de percer des trous pour monter son étagère un jour où je veux me reposer, je sais que c'est probablement le seul moment où il peut le faire. Donc je ne dis rien et je prends mon mal en patience. Je le "tolère", mais il m'insupporte. Rien à voir, donc, avec l'acception donnée aujourd'hui au mot "tolérance". Je peux l'aimer ou le détester, ce cher voisin, pour peu qu'il soit respectable, je le respecte avant de le tolérer.

 

Tout ce préambule pour évoquer la récente obligation faite à notre mode de pensée : la limpide et pure transparence. Un sinistre du budget avoue (bien obligé...) qu'il a planqué de la confiture volée à sa mamie dans une tirelire helvète, et voilà que ceux qui l'ont nommé nous entonnent le choeur des vierges effarouchées. Comme si cela changeait quoi que ce soit à la fraude du dit sinistre, à ses causes comme à ses couvertures, ils nous déclarent la main sur le coeur (il faut bien qu'ils aient quelque chose à gauche) qu'à partir de dorénavant et jusqu'à désormais, tout sera transparent, même eux. Et en premier lieu, leur patrimoine. Et là, on hésite entre l'inventaire à la Prévert et La Complainte du Progrès de Vian. Ah, Gudule, tu vas voter pour moi, et je vais te montrer : mon plan épargne, ma grande caravane, ma villa en Bretagne et celle dans l'Hérault. Mon découvert, mes actions Lagardère, l'appart' à Val d'Isère, et puis mes deux vélos. Mon...stop !!!!!! Votre indécence est sans limite ! Le "bon peuple", dont vous vous foutez éperdument (et d'ailleurs, le connaissez-vous ?) n'a que faire de ces énumérations alors qu'il peine à aller au bout d'une simple liste de courses dès le 10 du mois. Mais où allez-vous vous arrêter ? Vous voulez que cette mesure soit étendue à l'ensemble des élus, qui n'afficheraient plus une profession de foi mais une déclaration d'impôts, pourquoi pas, qui vous en empêche ? Avant de penser au bien public, exhibons nos biens privés. Transparence...Déjà, je vous reconnais un grand sens de la continuité dans l'art consommé du foutage de gueule. Car vous agissez en poètes, puisque depuis des lustres vous êtes dans l'apparence, la rime était aisée. De l'apparence à la transparence, on sent le travail (ô combien rémunérateur) de vos communicants. Quarante ans d'abandon, de discours, de constats, de mensonges mais en costards sur mesure ou en robes essayées avenue Montaigne. Après les trente glorieuses, les quarante défileuses. Un autre sinistre affiche sans vergogne un compte courant dans le rouge de plus de trente mille euros, pour que l'ouvrier d'Arcelor Mittal ou de Petroplus se sente moins seul, probablement. Faut pas désespérer Gandrange et toute la Lorraine, n'est-ce pas ? Mais bande d'hypocrites, vous l'avez assassinée il y a des années, cette belle région ! Le tertiaire à tout-va, la cravate en lieu et place du bleu de chauffe, l'open-space détrônant le haut-fourneau, c'est vous. Ah il est vrai qu'un métallo en Armani, c'est assez peu concevable pour vous qui ne serrez que des mains manucurées.

 

Apparence-transparence, suite logique donc. Car dans cette exigence qui vous rend invisibles, votre objectif n'est que trop évident. Il saute aux yeux, même. En voulant nous faire croire que vous nous montrez tout, vous espérez être exemplaires. Enfin, vous afficher comme tels. Très facile alors pour vous d'exiger de nous la même chose, vous voudrez tout savoir de nos moindre agissements. Pas de nos patrimoines, nous n'en aurons plus guère. Mais de nos envies, de nos désirs, de nos projets. Pour mieux les encadrer et mieux les diriger, et surtout pour bloquer ceux qui nous permettraient d'être autre chose que des moutons par moments rassurés par vos jolies petites phrases. Toute initiative personnelle serait suspecte à vos yeux d'inquisiteurs. Avant d'entreprendre quoi que ce soit, il nous faudra tout vous montrer : nos petites économies, s'il nous en reste, les quelques sous prêtés par un copain (pas par des banques, elles vous donnent des ordres !), nos goûts, nos préférences, nos amis et nos fréquentations, les journaux que nous lisons, les sites que nous consultons, nos chambres à coucher (pour cela, après tout, vous avez donné l'exemple), tout vous dis-je. Vous nous voudrez trans-pa-rents, et malheur à celui qui ne sera pas dans vos normes de Torquemadas post-modernes. Le résultat, vous le connaissez et vous le souhaitez. Seuls quelques rares fous oseront prendre un risque, les autres, tous les autres, se réfugieront par obligation dans la sécurité pour simplement survivre à peu près décemment. En avant toute vers la déresponsabilisation généralisée, bien plus aisée à conduire. Une petite touche d'assistanat par-dessus tout cela, en sélectionnant bien à qui il pourrait profiter (ne surtout pas relancer l'autonomie et l'initiative !), et Orwell apparaîtra comme un auteur à l'eau de rose.

 

Mais méfiez-vous. J'ai évoqué quelques rares fous. Ils existent, et il sera difficile de les entraver, impossible de les museler. Ils viendront de tous les bords vous rappeler pourquoi vous avez été élus, puisque nous vivons paraît-il en démocratie. Une démocratie qui prend une tournure étrange, celle d'une majorité sortie des urnes qui semble ne travailler que pour satisfaire les aspirations d'une infime minorité. Ceux-là ne se laisseront pas prendre dans vos pièges grossiers.

 

Et je dois reconnaître que vous êtes tout de même très forts. Comme vos prédécesseurs ont réussi à détourner le sens du mot tolérance, vous utilisez celui de transparence à votre sauce. Je pensais qu'il signifiait "pouvant se laisser traverser par la lumière" et je traduisais cela, dans mon infinie crédulité, par "qui se laissait guider par la connaissance, le bon-sens, la sagesse". Vous le transformez en nuage d'illusions digne d'une télé-réalité politique où vous jouez votre rôle qui de Steevy, qui de Loana, qui de Nabila sous la conduite d'un Endemol mondialisé.

Chapeau les artistes ! Réussir à enfumer avec de la transparence, il fallait y penser.

 

Franz Muzzano.


20/04/2013
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Chronique alsacienne à quatre mains, quatre pieds et beaucoup de tuyaux.

                                                  

 

L'Alsace est riche de ses paysages, de ses villages, de ses vignobles et de certaines femmes qui l'illuminent de leur radieuse beauté, teintée de bleu et de blond. Tout un chacun sait cela, à tel point que cette chronique n'est pas loin de s'ouvrir par un cliché. Mais l'Alsace est aussi une terre où de tous temps l'homme a doté ses églises d'orgues magnifiques, parfois jusque dans les plus petites bourgades, et où tout naturellement il a bien fallu pourvoir ces instruments de leur complément indispensable : l'organiste.

 

Yannick Merlin a grandi là-bas, près du Rhin, et y a rencontré le roi des instruments en 1993 grâce à l'enseignement de Raymond Winterhalter. Rencontre fructueuse puisqu'il obtint en 2001 une médaille d'or au CNR de Strasbourg, avant d'aller se perfectionner à Paris. Il est lauréat de plusieurs concours internationaux d'orgue (Ville de Paris, Angers, Lorraine) et, accessoirement, agrégé de musicologie après un cursus universitaire poursuivi à Strasbourg et à la Sorbonne. De 1995 à 2001, il a été le titulaire de l'orgue du couvent Saint-Antoine de Sélestat, et de 1998 à 2007 de celui, historique, du Temple-Neuf de Strasbourg. Il est aujourd'hui en poste à Paris. Et comme si ça ne suffisait pas il est aussi, en tant que musicologue, rédacteur et directeur de collection aux éditions Delatour France...

 

Bon, histoire de se changer les idées le soir après l'office, il aurait pu épouser une attachée commerciale ou une factrice eh bien non ! entrée en scène de Béatrice Piertot, organiste elle aussi, au pedigree à peu près similaire, avec en plus le clavecin dans les cordes de son arc. Enseignant les deux instruments, titulaire elle aussi d'une tribune parisienne, conseillère artistique pour un festival, elle a encore une petite faim puisqu'elle suit aussi des cours de viole de gambe et de danse baroque.

 

Et c'est comme cela qu'après avoir façonné une adorable petite Eve qui a poussé sa première note au début de l'été dernier, ils ont eu l'idée de se produire et d'enregistrer en "quatre mains-quatre pieds", concept qui s'il n'est pas inédit, est pour le moins original. Ainsi naquit le "Duo Merlin".

 

Leur dernier enregistrement a été effectué sur l'orgue historique (1833) de Mollau récemment restauré, dû au facteur Joseph Callinet. C'est avec ce programme qu'ils ont inauguré cet instrument remis à neuf en juin dernier.

 

                                            

 

Baptisé "Scènes Alsaciennes", en référence à Jules Massenet, il couvre plusieurs siècles de musiques nées en Alsace, ou en rapport avec l'Alsace.

On peut être surpris d'y voir figurer Mozart, avec les deux fantaisies en fa mineur Kv 594 et 608. Composées à la toute fin de sa vie, elles coïncident avec de courts séjours qu'il fit à Strasbourg à ce moment, sans pour autant s'y installer comme il l'avait fait en octobre 1778. Mais il est plus que probable qu'il les joua en Alsace, sur leur instrument d'origine qui était un orgue à rouleaux transportable.

En revanche, Georg Muffat (1653-1704) est une assez belle synthèse du "compositeur européen" de l'époque. Autrichien né à Megève, il passa sa jeunesse en Alsace. Séjournant à Salzbourg, Paris, Rome ou Prague, il fut influencé par les écoles allemandes, italiennes et françaises, et sa grande Toccata en est une parfaite synthèse.

Célestin Harst (1698-1778) était un moine bénédictin né à Sélestat, et qui ne quitta probablement jamais l'Alsace. Il était considéré comme l'un des plus grands clavecinistes de son époque, et son Grand orage est un bel exemple de musique "descriptive", encore plus impressionnante quand elle est jouée à l'orgue.

Martin Vogt (1781-1854), organiste et violoncelliste, termina sa carrière à Colmar après avoir travaillé à Vienne, Salzbourg, Bâle et Saint-Gall, entre autres. Joseph Wackenthaler (1795-1869) fut l'organiste sans partage de la cathédrale de Strasbourg de 1833 jusqu'à sa mort, à l'époque où l'édifice manquait d'un orgue de choeur. Il y assurait tous les offices, dormant parfois dans la salle des soufflets, tout là-haut dans le nid d'aigle ! Quant à Charles Kienzl (1797-1874), organiste et compositeur de pièces sacrées, il semble avoir surtout marqué la ville de Guebwiller.

 

Théophile Stern (1803-1886) fut une personnalité importante de la vie musicale strasbourgeoise. Organiste du Temple-Neuf, compositeur, professeur recherché, il marqua durablement le style d'accompagnement du culte protestant, tout en étant un brillant concertiste.

Adolf-Friedrich Hesse (1809-1863) ne fit que passer en Alsace, étant surtout attaché à sa ville de Breslau. Mais sa renommée était internationale, due en partie à son exceptionnel jeu au pédalier, et s'étendit jusqu'à Paris, où il inaugura les orgues de Saint-Eustache. Il reste aussi connu pour avoir été le professeur de Lemmens, qui forma lui-même des organistes comme Alexandre Guilmant ou Charles-Marie Widor.

 

Un programme très "alsacien" donc, permettant de découvrir des compositeurs oubliés, voire totalement inconnus, dans lequel on pourrait s'étonner de voir figurer Jules Massenet. D'abord parce que ce natif de Saint-Etienne passa sa vie à Paris, ne se déplaçant à Rome que pour un séjour à la Villa Médicis, et à Monte-Carlo ou Vienne que pour y voir créer ses oeuvres. Ensuite parce qu'il fut essentiellement un compositeur d'opéras, ne laissant aucune pièce d'orgue. Mais c'est là qu'intervient le grand talent de Béatrice et Yannick pour la transcription d'oeuvres orchestrales (ils ont déjà consacré un disque, "Couleurs orchestrales", à cet art difficile, et il ne faudra surtout pas manquer leur fulgurante interprétation du dernier mouvement de la quatrième symphonie de Brahms qui viendra bientôt). Massenet avait été très marqué par l'annexion de l'Alsace, et composa pour orchestre les "Scènes Alsaciennes" assez rapidement, même si elles ne furent créées qu'en 1882. La quatrième pièce, Dimanche soir, montre son espoir d'un retour prochain de cette terre, en évoquant dans un savant mélange les thèmes populaires les plus célèbres.

 

Virtuoses bien-sûr, mais avant tout musiciens, Béatrice et Yannick réinventent leur instrument par leur art des registrations, offrant un éventail de couleurs infini indispensable pour les transcriptions de pièces orchestrales. Ils se dégage de leur jeu une espèce de "lyrisme énergique" qui est leur signature. Et surtout, peut-être, ils ne donnent jamais l'impression d'être deux individus se partageant les claviers, mais une entité parfaite tant ils sont en symbiose. L'auditeur non averti est persuadé qu'il n'entend qu'un seul organiste, et c'est peut-être là que se trouve leur plus belle réussite.

 

Ce programme va encore se donner au gré des possibilités, des festivals ou des invitations (avec le Brahms phénoménal que j'ai évoqué), et probablement d'autres transcriptions sur lesquelles ils travaillent. Ce serait un péché mortel de ne pas aller les entendre.

 

 

 

Vous pouvez les contacter et commander leurs CD sur :

 

http://als-orgue.pagesperso-orange.fr/Yannick%20Merlin/YannickMerlin.htm

 

Franz Muzzangel.

 

 

 

 


24/02/2013
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Chronique d'un mauvais genre.

Pop est un enfant. Il a six ans et pour l'instant se porte bien, mais cela pourrait ne pas durer. Pourtant il vit en Suède, pays présenté comme un modèle à suivre par toutes nos sociétés prétendues démocratiquement avancées. Mais voilà, Pop ne sait toujours pas si elle est une fille ou s'il est un garçon.

 

Oh, Pop n'a a priori aucun souci de développement mental, ne nous méprenons pas. Pop n'est pas dans le déni. Mais Pop a un gros problème : ses parents, qui ont poussé la funeste théorie du "gender" à des limites jusqu'alors insoupçonnées. Papa Pop et Maman Pop (enfin, je suppose...) ont simplement décidé de ne pas révéler son sexe ailleurs qu'à l'état-civil, pour lui permettre de pouvoir choisir lui-même (ou elle même, c'est facile à rédiger, une chronique pareille, tiens !) quand petit Pop le décidera. L'enfant ne doit subir aucune influence extérieure qui pourrait le "sexualiser" à son corps défendant. Pour paraphraser le Castor dans sa maxime comptant parmi les plus stupides de l'histoire de la littérature : "On ne naît pas Pop, on le devient".

 

Lors donc, pour le moment, Pop est encouragé à se comporter selon son envie du moment. Sa robe du dimanche peut devenir un blouson sur un jean le lundi, et peut-être se dit-il qu'à ce train-là, dans dix ou quinze ans il adaptera son rimmel à la teinture de ses ongles le mercredi tout en décidant de ne pas se raser le jeudi et le vendredi, la barbe de trois jours du samedi posant son homme comme la longueur des cils embellit la femme le dimanche. Quant aux jeux d'enfants, ils ne sont pas vraiment en cause. Je connais quelqu'un qui, gamine, était redoutable dans les bagarres avec les garçons de son village, et qui est aujourd'hui un modèle de féminité. De même, savoir si Pop fait pipi assis ou debout n'a guère d'importance. Ce qui compte est qu'il fasse pipi, après tout.

 

On pourrait sourire en parlant d'expérience éducative qui s'effondrera d'elle-même à la puberté, mais il n'en est rien. D'abord parce que les "parents" semblent suffisamment atteints pour persévérer dans leur délire qu'ils osent nommer "évolution positive", et surtout parce qu'il y a fort à parier que les troubles de l'adolescence classiques chez tout individu normalement constitué qui se questionne, se cherche, se découvre deviendront pour Pop insolubles tant ils seront pour lui proches d'un tsunami mental. Ce ne sera plus "qui suis-je ?", mais "que suis-je ?" et là, je vois déjà le défilé des psys de toutes obédiences se précipitant à la porte des parents du malheureux (de la malheureuse ?), ayant trouvé en ce "neutre" le patient idéal pour des années d'analyse.

 

La Suède, avec d'autres pays scandinaves, est en pointe dans le développement de cette théorie criminelle, avec déjà des écoles où il n'y a plus ni filles ni garçons, mais des "amis". Et où toutes les formes de dissociation masculin/féminin ont disparu. Enfin, pour les enfants, parce que je ne suis pas certain que les enseignants s'appliquent ces règles à eux-mêmes, bien que pour eux cela pourrait être une assez jolie source de joies dans le vestiaire unique de la piscine. Tiens, justement, qu'en est-il de ces fameux vestiaires pour les gamins, puisqu'on ne différencie plus rien ? Que fait-on de la pudeur naturelle de beaucoup d'entre eux ? Ah j'ai dit un gros mot : "naturelle"...

 

Le vent du Nord souffle suffisamment fort pour que ce poison vienne s'installer en France. Nous avions déjà un collectif contre le sexisme des jouets organisant régulièrement des opérations commandos dans les magasins de à la période de Noël (pardon, des "fêtes de fin d'année"), sans être le moins du monde inquiété, et encore moins traduit devant les tribunaux. Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille, a jugé primordial de visiter la crèche Bourdarias, à Saint-Ouen, où l'on ne fait pas la différence entre fillettes et garçonnets au nom du sacro-saint combat contre les «clichés». Cette même personne a aussi pour but de faire évoluer la formation de TOUS les professionnels de l'enfance, et ce dès le plus jeune âge pour les sensibiliser à ce massacre annoncé. Dans un tel climat, la proposition d'une député de ne plus parler d'école "maternelle" (trop sexiste, voyons !) paraît presque anecdotique.

 

Délires d'adultes, volonté délibérée de briser toutes formes de repères en détricotant maille après maille tous les fondements de nos sociétés, idéologie destructrice poussée à l'extrême, tout cela pourrait faire débat si, au centre, ne se trouvait pas un élément qui devrait rester sacré : l'enfant (je ne parle pas d'un "enfant-roi", mais j'emploie le terme "sacré" dans le sens de respect total de son développement, qui ne doit pas être le jouet de quelques bobos ayant abusé de la fumette lors de soirées "tendance").

 

La méthode globale a déjà détruit les capacités de lecture raisonnée de deux générations. Voici venir le temps du "sexe global", du neutre remplaçant le "elle" ou le "il". C'est un monde qu'on assassine, en commençant par les plus vulnérables. Même les pires dictatures n'avaient pas imaginé ça.


19/02/2013
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COMBAT DE FEMMES A FOTHERINGHAY OU QUAND DONIZETTI FAIT CHAVIRER NEW YORK

 

 

 

"Bâtarde !", "Souillure de Boleyn !", "Débauchée !", "Fausse vierge !", "Tu vas crever, souillon de race dégénérée !".

Nous ne sommes pas au pied d'une barre d'immeubles quelque part en Seine Saint-Denis, mais dans les geôles du château de Fotheringhay, près de Northampton. Nous ne sommes pas non plus en 2013, mais en 1587. Et nous ne sommes pas dans la "vraie vie", mais sur une scène d'opéra. Au Metropolitan Opera de New York très exactement, où vient de se terminer une série de représentations de Maria Stuarda de Donizetti. Le samedi 19 janvier, la matinée était retransmise en direct dans les salles de cinéma de 64 pays, sans trucage d'aucune sorte, offrant un moment de pur bonheur à des millions de spectateurs.

 

Maria Stuarda fut longtemps rejetée dans les oubliettes de l'art lyrique, comme à peu près tous les ouvrages dramatiques de Donizetti, Lucia di Lamermoor étant l'exception. Pendant plus d'un siècle, on ne se rappela du maître de Bergame que pour le seul Don Pasquale, négligeant ainsi celui qui, plus que Rossini ou Bellini, annonce le mieux la maîtrise dramatique sublimée par Verdi. Il est vrai que l'ouvrage a joué de malchance. Composé en 1834, il dut subir un premier gros problème dès la répétition générale, avant même la première : les deux cantatrices en vinrent aux mains, et le crêpage de chignons en laissa une sur le carreau. Qu'importe, la censure était dans la salle et les noms d'oiseaux ouvrant cet article étant issus du livret (et donc mis en application par les deux dames...), la représentation fut interdite. On ne traite pas une reine de bâtarde, surtout à Naples où la souveraine d'alors, Marie-Christine de Savoie, était une descendante en ligne directe de Mary, Queen of Scotland. Voir son aïeule se faire couper en deux à la fin de l'opéra aurait pu faire désordre en ces années plutôt agitées. Donizetti dut revoir sa copie, changer le titre, l'époque et le lieu, ainsi que le librettiste, pour enfin voir et entendre la création de ce qui n'avait plus rien à voir avec ce qu'il voulait, le 18 octobre 1834 au San Carlo de Naples.

 

Il pensait avoir renié à jamais cette partition quand Maria Malibran s'en empara l'année suivante. Celle à qui personne ne refusait grand chose réussit à imposer une reprise de la version originale à la Scala de Milan, faisant taire les censeurs. Donizetti adapta le rôle-titre pour elle, enrichit sa partition, et la création du 30 décembre 1835 aurait dû être un triomphe. Mais il semblait écrit que la haine d'Elisabeth traversât les siècles : Malibran, malade, refusa de se faire remplacer (pour conserver le bénéfice d'un cachet faramineux), et fut incapable de chanter ne serait-ce que passablement. A la sixième représentation, elle put se reprendre, mais le mal était fait. Naples n'en voulait pas, Milan n'en voulait plus, Maria Stuarda allait donc se donner à Londres en 1836, toujours grâce à Malibran. C'était sûr, écrit, réglé, ce serait enfin le triomphe annoncé. Oui mais voilà, la cantatrice eut la très mauvaise idée de mourir entre temps. Donizetti, écoeuré, préféra passer à autre chose.

 

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, Callas n'est pour rien dans la résurrection de l'ouvrage, qui tomba donc dans l'oubli durant plus de 120 ans. C'est le maestro Oliviero De Fabritiis qui le proposa à Bergame en 1958, avant que le succès mondial n'intervienne lors du Mai Musical Florentin en 1967, grâce à Beverly Sills, Shirley Verrett et aux somptueux décors et costumes de Pier-Luigi Pizzi.

 

 

 

 

 

Bien que prisé par un grand nombre de cantatrices, Maria Stuarda n'avait jamais été donné au MET. New York avait pu l'applaudir dès 1972, mais au NY City Opera, grâce à Beverly Sills encore qui en était aussi la directrice. C'est donc une première pour cette maison légendaire, et un coup de maître.

 

Réussir une production de Maria Stuarda est avant tout une affaire de femmes. Certes, trois rôles masculins sont à l'affiche, mais ils ne présentent pas de difficulté particulière et sont tout à fait représentatifs des typologies vocales utilisées dans le bel canto romantique. Encore faut-il qu'ils soient confiés à des chanteurs maîtrisant la ligne et le style exigés. Avec Joshua Hopkins, superbe baryton, pas de souci. Le rôle du fourbe Cecil lui sied à ravir, avec ce qu'il faut de noirceur mordante dans le timbre qui annonce un possible Iago. Même constat pour Matthew Rose, basse imposante par sa stature mais surtout par une voix qu'il ne force jamais, naturellement sombre mais pleine de noblesse en Talbot. Tous deux sont des pensionnaires du MET, ce qui en dit très long sur le soin apporté à l'ensemble de la distribution dans cette grande maison.

Leicester est un rôle ingrat. Pour un ténor, l'opéra italien est bien souvent une occasion de mettre en valeur toutes ses capacités vocales, de briller, d'éblouir. Mais Donizetti ne lui offre qu'un air et deux duos, n'autorisant aucun moment de bravoure. En revanche, le phrasé et le legato doivent être parfaits, et Matthew Polenzani confirme qu'il est passé maître dans ces domaines, avec surtout un timbre superbe, qui s'est enrichi depuis son éclosion à Aix en 2003 (où il avait sauvé du désastre une calamiteuse Traviata...). A peine pourrait-on lui reprocher un petit manque de vaillance dans sa colère finale, peut-être un peu sage. Mais tout de même, le librettiste le montre éperdument amoureux de Mary, tout en couchant avec Elisabeth...Sacré Leicester !

 

Mais ce sont donc ces dames qui portent l'ouvrage à bout de poumons et de larynx. Deux reines qui, d'un strict point de vue vocal, pourraient échanger leurs rôles. Notées "soprano" toutes les deux dans la partition, le personnage de Mary est en fait pensé pour une mezzo, même si Caballé, Sutherland ou Sills y ont été éblouissantes, alors qu'Elisabeth, bien que devant projeter plus d'aigus, a souvent été confié à des cantatrices aux graves bien affirmés (Verrett). Cette production offre une distribution des timbres proche de ce que souhaitait Donizetti, en équilibrant merveilleusement le plateau.

 

 

 

 

 

 

 

Pour ses débuts au MET, Elza van den Heever attaque très fort. Jeune soprano venue d'Afrique du Sud, membre de la troupe de l'opéra de Francfort, elle avait déjà brillé dans le rôle du "Komponist" de l'Ariadne de Richard Strauss, et ses enregistrements wagnériens d'Elsa ou Elisabeth promettaient beaucoup. Cette autre Elisabeth n'a rien à voir avec la vierge blonde saluant le retour au bercail du chanteur prodigue. Reine cruelle, jalouse, frustrée et particulièrement laide, elle voit en Mary une rivale et ne veut que son anéantissement. Ce qu'elle obtiendra non sans être passé par quelques joutes vocales dont l'incipit de cet article donne une idée. Miss Elza se joue des difficultés imposées par Donizetti, en particulier une longueur de tessiture assez redoutable, comme s'il s'agissait d'une chansonnette. A suivre de très près. Et comme elle a décidé que ses premiers pas sur la scène du MET allaient marquer les esprits, elle n'a pas hésité à se raser entièrement le crâne pour incarner encore plus ce charmant personnage. Une attitude à la De Niro dans Raging Bull  pour une scène qui ne dure que quelques secondes, lorsque ses deux caméristes mettent en place sa perruque au début du second acte. Une voix, et une nature !

 

 

 

 

 

 

Il fallait bien un tel tempérament pour faire face à une Joyce DiDonato en état de grâce. A 44 ans, elle est maintenant un pilier du MET où elle fit ses débuts dans le rôle de Cherubino durant la saison 2005/2006. Mezzo colorature spécialiste de Rossini et Haendel, elle avait déjà interprété Elisabeth dans ce même ouvrage. Mais le rôle-titre lui permet de passer par toutes les nuances de sentiments possibles, de la douceur amoureuse à la colère froide ("Souillure de Boleyn !", c'est elle qui le balance...) et surtout à la prière. Sa scène finale "Deh ! tu di un umila preghiera" offre un moment de de pure beauté, de chant suspendu, et l'on n'oubliera pas ce son filé attaqué pianissimo, s'enflant progressivement jusqu'à couvrir le choeur, interminable (30 secondes ? plus ?...), laissant le spectateur suspendu au-dessus de son siège. Allant jusqu'au bout d'elle-même dans l'incarnation, elle récolte un triomphe qui la place définitivement au niveau des très grandes, en tout cas des quelques rares immenses chanteurs lyriques d'aujourd'hui. Et tout cela avec une modestie et une gentillesse qui sont la marque des vrais artistes. Prenant le temps de s'arrêter à l'entracte pour répondre aux questions de Deborah Voigt (maîtresse de cérémonie de luxe !), elle souligna que sa peur était de ne pas tenir la même tension dans les passages d'apparence plus calme. Sois sans crainte, Joyce, la tension était bien là !

 

Dans la "maison" de James Levine, Maurizio Benini dirige en vrai spécialiste du bel canto romantique, attentif à tout ce qui peut se passer sur scène, et sans cesse à l'écoute du plateau. Le périlleux sextuor final du premier acte semble ainsi être une formalité. Et la moindre nuance de chaque chanteur est suivie, soutenue, accompagnée amoureusement. Et comme la mise en scène est confiée à David Mc Vicar, les décors et costumes à John Mc Farlane, créateurs qui ne confondent pas production lyrique avec psychanalyse personnelle mais se mettent au service de l'oeuvre, tout est en place pour que cette soirée demeure inoubliable.

 

  La saison du MET offrira prochainement d'autres productions retransmises dans les mêmes conditions : Rigoletto le 16 février, le rare Francesca da Rimini le 16 mars, et surtout Parsifal le 2 mars, qui marquera la prise de rôle de Jonas Kaufmann. Quelque chose me dit qu'on en reparlera...


F. Muzzangel
25.01.2013



26/01/2013
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CHRONIQUE SUBURBAINE, OU COMMENT FAIRE DU PORTE A PORTE EN IGNORANT LUTECE.

Paris est une ville somme toute assez particulière. Déjà, c'est une ville, ce qui n'est pas donné à tout autre agglomérat d'habitations où gîtent homme, femme, enfants, belle-mère et chiens dans une promiscuité parfois lourde de conséquences, et que l'on nomme village, à l'image de Villers-sous-Montrond (Doubs), malgré tout charmant quand même. Ou bien bourg quand le nombre de maisons dépasse un certain seuil qui impose la boulangerie et favorise la consanguinité. Ensuite, Paris est considérée comme étant la capitale de la France, et il faut bien reconnaître qu'elle est la seule à avoir ce privilège. Lyon, qui est aussi une ville, il est bon de le rappeler, aimerait bien lui disputer cet avantage, mais doit pour l'heure se contenter de n'être que la capitale des Gaules, ce qui ne signifie pas qu'on y pêche plus qu'ailleurs. Précisons au passage aux cuistres qui se prétendraient amateurs de jazz que Lyon n'est pas pour autant la ville natale de Louis Prima.

 

Pour entrer dans Paris, rien de plus simple. C'est comme dans une grande maison. Il y a des portes. L'homme, malgré toute son inventivité qui lui a permis de découvrir la roue, la polyphonie, la perspective, le vaccin contre la rage, l'andouillette au chaource, la guillotine, le satellite, la statuaire grecque, la pénicilline, le madrigal, la Patagonie, les khmers rouges, le déodorant ou bien encore le chien-truffier et le Dakar en Argentine n'a à ce jour rien trouvé de mieux pour entrer quelque part que d'utiliser la porte. Comme Paris est assez étendu, il en possède beaucoup et elles se suivent très régulièrement, aérant le tour de la cité d'autant d'ouvertures. L'inconvénient étant que le voyageur, dans le cas improbable où il manquerait sa porte, se voit dans l'obligation de s'engager dans une promenade circulaire somme toute assez fastidieuse, mais qui lui permet de retenir le nom des maréchaux d'empire. Cela dit, une fois parvenu à destination, et pour peu que ce voyageur soit une voyageuse hissée sur talons haut, il a mal aux pieds.

 

Ces portes présentent un autre intérêt, loin d'être négligeable : elles sont riches d'enseignements de par leur nom même. Ainsi, la Porte de Saint-Ouen débouche sur Saint-Ouen, celle de Charenton sur Charenton, terre d'asile, celle de Montreuil sur Montreuil même si l'oeil aiguisé d'un ethnologue chevronné lui ferait alors commettre une étude détaillée sur l'urbanisation des faubourgs de Bamako. D'autant que chacun sait que le dimanche à Montreuil, c'est le jour de mariage. Il y aurait bien d'autres exemples dont l'énumération serait plus fastidieuse que la liste des remerciements d'une starlette un soir de remise des César. Mais d'autres portes peuvent conduire le non-initié à commettre des erreurs très difficilement réparables. Telle la Porte d'Orléans, qui s'ouvre sur Montrouge et non sur la cité où Jeanne d'Arc eut enfin ses Anglais. Ou bien encore la Porte de Versailles qui n'amène pas là bas, bien qu'elle soit près d'Issy. Quant à la Porte d'Italie, le mensonge est trop gros pour être commenté : la paysage offert à la vue du pèlerin est en effet assez éloigné de la beauté sans égale des plaines de Toscane, et les logis parsemant les voies carrossables ne sauraient en aucun cas être confondus avec le charme des villas qui enchantent les Pouilles et même la Calabre. Cela dit, c'est tout de même la bonne direction pour s'en aller saluer les pontifes.

 

Il serait malhonnête de ne point faire mention de quelques portes qui sont autant d'énigmes pour tout historien se penchant avec un tant soit peu de rigueur passionnée sur l'histoire de Paris. Telle la Porte Maillot, jouxtant un quartier pourtant bien nu, et surtout la Porte de la Chapelle, où l'on trouve une mosquée.

 

Les spécialités culinaires parisiennes sont rares, mais ne manquent pas d'un certain intérêt, pour ne pas dire d'un certain charme pour peu qu'elles soient préparées avec art et savoir-faire. On en dénombre principalement trois qui sont célèbres dans le monde entier, au moins : le champignon, le jambon et la p'tite femme. Elles peuvent s'avérer extrêmement délicieuses, à condition toutefois d'être d'une parfaite fraîcheur. Nous ne saurions trop conseiller au lecteur de bien prendre garde à la date de péremption de chacun de ces produits, surtout le jambon et le champignon qui peuvent s'avérer mortels en cas de consommation par trop tardive. Cette remarque est valable aussi pour le troisième, mais en ce qui le concerne des exceptions existent et il n'y a pas de règles, si nous pouvons nous exprimer ainsi. De plus, la date indiquée sur l'emballage est parfois erronée, pour ne pas dire folklorique. Cela étant, s'il est bien frais, il peut être consommé nature, comme le jambon, alors qu'il est préférable d'accommoder le champignon. Ajoutons que le dit champignon accompagnera avec bonheur la moindre tranche de jambon, de préférence en conservant la couenne. On évitera, en revanche, de l'associer au troisième produit pour des raisons que chacun comprendra aisément.

 

La notoriété de ces spécialités est telle qu'elle a même été célébrée à l'intérieur du septième art. Nul n'a oublié la célèbre chanson illustrant le film de Louis Malle, Viva Maria, interprétée par deux comédiennes que le temps, force est de le constater, a cruellement marqué de son irréparable outrage. Mais l'avantage du cinéma est qu'il fixe à jamais la jeunesse dans tout son éclat, et aujourd'hui encore tout un chacun peu entonner gaiement l'immortel refrain : "Ah, le jambon, le jambon de Paris ! Ah le jambon, le jambon de Paris !".

 

Fatigué de marcher et conscient que l'automobile naissante serait un jour un luxe, auprès duquel la boîte d'un kilogramme de béluga chez Petrossian s'apparente au petit noir pris chez Marcel sur le zinc à l'heure où les souteneurs font leurs comptes et où quelques dames vont à matines, l'homme parisien décida un jour de se doter d'un réseau souterrain de transport qu'il nomma Métropolitain. Ce fut une bonne idée, ne serait-ce que pour un siècle plus tard permettre d'abriter quelques illuminés n'ayant pas même un domicile fixe, quand il se met à faire plus froid que très, très froid. Mais ce n'était pas le but premier.

 

Il fallait, vous l'aurez tous compris, enfin presque tous, assurer à l'employé aux écritures de la maison Mouchard, Mouchard et Mouchard demeurant à Vincennes la possibilité de rejoindre son bureau et l'encrier posé dessus sans craindre le légitime châtiment (parfois corporel, si) qui aurait sanctionné le plus petit retard. Or, la maison Mouchard, Mouchard et Mouchard était alors sise près des Tuileries presque encore fumantes. Et comme lui disait sa gironde concierge, Madame Hossédard, : "Ah ben mon pôv' M'sieur Emile, d'ici aux Tuil'ries, ça nous fait une trotte !". Oui, il s'appelait Emile, il était nécessaire de le préciser. Ainsi, dès le 19 juillet 1900, il put pour la première fois de sa vie de travailleur se faire composter le ticket sans douleur, préserver ses semelles et arriver en avance. Le progrès n'a pas de limite, qu'on se le dise.

 

Il faut ici ouvrir une parenthèse pour signaler que la date d'inauguration de ce qui est aujourd'hui la ligne "Un" était prévue pour se tenir la veille, le 18 juillet. Mais dans leur immense sagesse qui faisait d'eux des personnages importants, les décideurs d'alors se dirent qu'il fallait réserver cette journée à un événement de portée mondiale qui surviendrait quelque soixante-deux ans plus tard. N'en disons pas plus, consultez mon profil et fermons cette parenthèse.

 

La symbolique étant toujours bonne à prendre lorsque l'on s'adresse à une foule en liesse, on fit appel pour la conception et le développement du réseau à un ingénieur nommé Bienvenüe. Quel joli nom pour redonner le sourire au couvreur descendant sur les quais, les yeux bouffis par le manque de sommeil et la consommation vespérale de vin des rochers, pourtant velours de l'estomac, mais alors très côtelé. Bienvenüe ! et l'ouvrier pénétrait la rame verte avec un grand sourire, non sans avoir auparavant écrasé son mégot d'un coup de talon volontaire, car il était précisé "défense de fumer et de cracher". Eh oui, risquer de tomber d'un toit tel un vulgaire Coupeau devenait un plaisir, car plus besoin de marcher pour monter au supplice. L'asservissement se démocratisait, c'était beau...

 

Gloire donc à Bienvenüe ! A son sujet, il est important de rappeler au provincial ne visitant Paris qu'à l'occasion du Salon de l'agriculture que son prénom n'était pas Montparnasse, comme il pourrait le croire. Non, il s'appelait Fulgence, comme tout un chacun. Ou presque, je connais un Trophyme et même un Colomban.

 

Deux guerres et trente glorieuses plus tard, on se rendit compte que le Parisien n'habitait plus Paris. Alors fut lancé le RER qui lui donna l'illusion de ne point avoir quitté sa belle capitale. Comme les chiffres étaient déjà pris par les lignes du Métropolitain, on différencia les nouvelles lignes en les affublant de lettres : A, B, C, D et E. Oui, une dizaine de commissions un peu plus que coûteuses arrivèrent à la conclusion que "c'était mieux dans l'ordre". Je ne m'étendrai pas sur ce sujet, ne souhaitant pas voir monter ma tension ou s'ouvrir mon ulcère. Car si le A justifie sa position de pionnier en fonctionnant très correctement, le C est vétuste et le D mal fréquenté. Le E est trop récent pour être jugé de manière impartiale.

 

Quelques mots sur le B tout de même, qui emprunte le tronçon de l'ancienne Ligne de Sceaux qui fonctionnait très bien. Quand il n'est pas en grève, une ampoule grillée le retarde en prenant l'appellation "problème de signalisation". Et quand tout est allumé, un désespéré choisit précisément ce parcours-là pour offrir à ses compagnons de voyage, appelés usagers alors qu'ils sont déjà usés, le spectacle vivifiant, bien qu'insoutenable pour les petites natures, de sa transformation en steak tartare préparé à la table. Les agents chargés de la communication, quand ils sont réveillés, donnent à ce geste fou la très jolie formule "incident grave de voyageur". Comme cela, Raymonde qui a compris qu'elle ne sera pas rentrée pour voir "Questions pour un champion" se dit que toute peine est relative.

 

Quelques-uns m'affirment que cette ligne fonctionne très bien les jours où je ne l'emprunte pas. J'en suis ravi.

 
 
 F. MUZZANGEL

16/01/2013
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